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L’artiste libre.. résisterait-il ?

publié le 22 février 2020   auteur: corine, Frank Schabaver  3187 lectures

L’artiste libre ne correspond pas à un statut juridique.
Il décrit une situation : celle d’un artisan ou d’un artiste chez lequel la « prédominance du travail intellectuel et de création » lui permet de s’inscrire comme « une profession libérale auprès du fisc » et répondre des régimes fiscaux et sociaux des professions libérales (1).

Son activité créative l’exclut du régime social d’artiste-auteur s’il n’est pas mentionné dans les artistes susceptibles d’en bénéficier. En effet, s’il n’est pas auteur d’œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et plastiques, ainsi que photographiques, il relève (2) du régime fiscal et social des professions libérales (travailleurs indépendants), donc d’un régime « libre » en ce qu’il n’est pas rattaché au régime général de sécurité sociale pour l’ensemble des risques.

Pourquoi certains artistes sont-ils exclus du régime des artistes- auteurs ?

Rattaché au régime général de sécurité sociale pour l’ensemble des risques (3), le statut social d’artiste-auteur regroupe des auteurs relevant des branches professionnelles suivantes (4) : écrivain et illustrateur de livre, auteur-compositeur de musique, auteur d’œuvres originales en matière d’arts graphiques et plastiques, cinématographiques et audiovisuels, ou de photographie.

Au-delà de ces catégories, tant les caractéristiques de la production de l’artiste que les aspects de genre et de forme déterminent si l’activité artistique relève du régime social des artistes-auteurs ou de celui des travailleurs indépendants

1° Toutes les productions, quelles que soient leur nature, ne relèvent pas de revenus artistiques des branches professionnelles

En matière d’art graphique et plastique par exemple, ne bénéficient pas de la qualité d’artiste-auteur, quand bien même sont-ce des auteurs d’oeuvres de l’esprit, les personnes qui créent des dessins obtenus par procédés mécaniques, des dessins industriels, des productions purement artisanales ne recourant qu’à un savoir-faire (pièces utilitaires par nature), des productions commerciales d’exemplaires multiples d’une création graphique (5).

2° Des aspects de genre et de forme excluent certaines activités de la branche des auteurs d’oeuvre d’art graphique et plastique

Pour bénéficier du régime des artistes-auteurs, il faut que l’activité relève des branches professionnelles précitées. Mais la définition de ces branches demeure parfois imprécise pour certaines situations en matière d’arts graphiques et plastiques.

Ainsi, la réforme d’août 2020 donne une nouvelle définition (6) des artistes-auteurs d’arts graphiques et plastiques relevant de ce régime propre de sécurité sociale, en définissant une oeuvre originale conformément au code de la propriété intellectuelle (et non plus selon la définition donnée au code général des impôts). Cette modification touche les « artistes libres » sans les faire disparaître.

Premier exemple : le code général des impôts ne définit aucune œuvre d’art en matière de verreries mais le code de la propriété intellectuelle accepte de qualifier d’oeuvres originales des créations de verreries. Or « toute oeuvre originale » appartient à la liste des œuvres desquelles l’on retire un revenu d’activité artistique susceptible de relever du régime des artistes-auteurs (7).

Second exemple : avant la réforme, les émailleurs ne pouvaient prétendre au régime des artistes-auteurs que s’ils réalisaient des émaux sur cuivre alors que désormais, la définition du code de la propriété intellectuelle permet à tous supports d’émaux d’être admis : sur cuivre, argent, or ou tout autre support. Et ce sous réserve qu’ils ne dépassent pas 8 exemplaires (et probablement, qu’il ne s’agisse pas d’articles de bijouterie, d’orfèvrerie et de joaillerie) (8). Le régime des artistes-auteurs serait donc applicable.

Le site de la sécurité sociale des artistes-auteurs n’exclue pas, à proprement parler, ce type d’oeuvres originales du régime des artistes-auteurs. Mais elle souligne que n’en relèvent pas « la production de pièces utilitaires par nature relevant des métiers et artisanat d’art, indépendamment de leurs caractéristiques techniques (c’est-à-dire : nombre d’exemplaires : pièce unique ou série limitée, mode d’exécution, signature de l’exécutant…), même si elles constituent le support d’une création et remplissent une fonction décorative. Par exemple : poteries, faïences, porcelaines, miroiterie d’art, vitrerie d’art, décorations sur verre, tatouages, soufflage de verre, fonderie d’objets d’art, encadrements, dorure, ébénisterie, ferronnerie d’art, fabrication de luminaires, décorations par émaillage, gravures ciselures d’art, reliures, vannerie, fabrication d’instruments de musique ».

Aucun jugement à ce jour ne permet de savoir comment sera appliquée cette nuance. En effet, un artiste ou artisan produisant des créations originales de verreries par soufflage de verre, dont la forme n’est pas intégralement imposée par la fonction technique de l’objet (sans pour autant constituer une sculpture), crée en théorie une œuvre susceptible d’ouvrir droit à un droit d’auteur. De même pour l’élaboration d’émaux. Pourtant, aucun critère n’existe pour décider de l’originalité d’une oeuvre et donc de sa soumission au droit d’auteur, ce qui lui ouvrirait le bénéfice du régime des artistes-auteurs (sous réserve d’en respecter les conditions) applicable aux œuvres originales en art graphique et plastique.

Même si le juge a considéré que les appréciations des commissions professionnelles de la sécurité sociale des artistes-auteur ne s’imposent pas pour qualifier les revenus déclarés de revenus artistiques (9), la notion d’oeuvre originale demeure soumise à son application par la sécurité sociale des artistes-auteurs. Or dans ces situations, la sécurité sociale des artistes-auteur semble considérer qu’il s’agit de la production de pièces utilitaires par nature (ou de décoration par émaillages) relevant des métiers et artisanat d’art. Chacune de ces activités relèverait donc par défaut du régime des travailleurs indépendants
.
A l’instar de l’artiste-auteur, l’artiste libre est susceptible de bénéficier de trois types de revenus :
* ceux résultant des droits d’auteur sur l’œuvre entièrement exécutée de ses mains ou sous sa direction
* et ceux inhérents à la conception de l’œuvre,
* ainsi que ceux provenant de la vente du support matériel de l’œuvre.
.
.

L’artiste libre demeure tenu de s’acquitter des cotisations sociales (10) sur ses revenus qui sont assimilés à des bénéfices non commerciaux (11), sauf s’il s’agit de revenus assimilables à des salaires ou de revenus intégralement déclarés par des tiers (12).

L’artiste libre relève du régime de la sécurité sociale des indépendants, sauf si son activité artisanale demeure mineure par rapport à son activité artistique d’artiste – auteur. En choisissant ce régime, les artistes libres cotisent avec des taux identiques à ceux des travailleurs indépendants ou des professions libérales non réglementées car ils sont alors assimilés fiscalement à des personnes qui pratiquent en toute indépendance une pratique ou un art, pour laquelle ou pour lequel l’activité intellectuelle joue le principal rôle et dont les recettes proviennent d’un travail personnel sans lien de subordination.

Ce choix engendre une différence des taux de cotisation, voire des prestations fournies, selon qu’il s’agisse du régime des artistes auteurs ou de celui des travailleurs indépendants (13) :

Si l’artiste libre peut être considéré au regard du régime fiscal comme, notamment, auteur d’oeuvres graphiques et plastiques, ses revenus résultent en partie des droits d’auteur.
Les revenus des droits d’auteur sont considérés comme des bénéfices non commerciaux (14) sauf s’il s’agit de revenus déclarés par un tiers (15). Ils doivent provenir d’œuvres d’art au sens du code général des impôts (16). Il convient dans les revenus de droit d’auteur d’ajouter les revenus d’activité tels que rencontres publiques, cours, ateliers, participation à la conception ou la mise en forme d’une œuvre (17). La base d’imposition sera égale aux bénéfices hors TVA majorés de 15% (18) (ou à 66% des recettes, sans majoration, pour les auteurs en micro BNC) (19).

Outre l’impôt sur les revenus, l’artiste libre est redevable de la TVA tant pour son activité que pour la vente de ses œuvres (20), sauf exception. En effet, il peut bénéficier du taux réduit de TVA de 10% (21) ou d’une franchise de TVA en-deçà de 47 700 € de revenus (22). Quant à la cotisation foncière des entreprises dont il est redevable, il peut en être exonéré lorsque son chiffre d’affaire de l’avant dernière année est inférieure à 5000 € (23). Mais il ne peut bénéficier de l’exonération accordée aux artistes-auteurs (24).
* * *
L’artiste libre résulte du choix d’un régime d’imposition social et fiscal qui semble avoir été privilégié pour les faibles revenus. Il permet aux artistes ne pouvant être affiliés au régime des artistes-auteurs (notamment ceux qui ne peuvent parvenir à ouvrir des droits à défaut de ressources supérieures à 150 SMIC horaire pour un trimestre de retraite ou 600 SMIC horaire soit 6990 €) d’accéder à un régime de protection sociale pour bénéficier des indemnités maladie, maternité, invalidité et décès (25 et 26)
.
Néanmoins, ce régime d’artiste libre revêt un intérêt par rapport à celui des artistes-auteurs : parce qu’il relève de la sécurité sociale des travailleurs indépendants, il permet de débuter son activité sous forme de micro-entreprise (27), à la différence des personnes relevant du régime des artistes-auteurs, qui ne peuvent y recourir que pour une activité accessoire ou n’entrant pas dans le champ du régime des artistes-auteurs.

Toutefois, il est conseillé de s’assurer auprès du centre des impôts, de l’URSSAF ou de la sécurité sociale des indépendants ainsi que de la sécurité sociale des artistes-auteurs de l’intérêt de choisir ce statut au regard de l’activité exercée et des revenus perçus.

Article mis à jour le 23 janvier 2024


1. réponse ministérielle du 8 mars 1990 à QE n° 2664 du 8 décembre 1988 de M. Marcel
Lucotte relatif au statut des métiers d’art
2. article L. 640-1 du code de la sécurité sociale
3. article L. 382-1 du code de la sécurité sociale
4. article R. 382-1 du code de la sécurité sociale
5. BOFIP BOI-TVA-SECT-90-10
6. alors que leur définition énoncée à l’article R. 382-1 du code de la sécurité sociale se référait au code général des impôts (« [oeuvres originales] définies par les alinéas 1° à 6° du II de l’article 98 A de l’annexe III du code général des impôts »), cet article modifié par le décret 2020-1095 du 28 août 2020 se réfère désormais au code de la propriété intellectuelle (« [oeuvres originales] mentionnées à l’article R. 122-3 du code de la propriété intellectuelle »).
7. « toute œuvre originale » (rubrique 14 de l’annexe 2) relève de la liste sur la nature des oeuvres indiquées dans l’instruction ministérielle N° DSS/5B/DGCA/2023/6 du 12 janvier 2023 relative aux revenus tirés d’activités artistiques relevant de l’article L. 382-3 du code de la sécurité sociale
8. BOFIP BOI-TVA-SECT-90-10.
9. à propos d’un jardin d’art et d’essai : CA Rouen, sect. sécurité sociale, 16 mai 2007, n° 06/0290 : JurisData n° 2007-339729.
10. cf L. 611-1, L. 631-1 et 4° de l’article L. 640-1 du code de la sécurité sociale pour le régime invalidité décès
11. articles 92 et 100 bis du code général des impôts ainsi que BOI – BNC – sect 20-10-10, n° 50, cf pour les peintres et les sculpteurs : CE, 21 janv. 1991, dr fisc. 1991 n° 44 comm 2082
12. article 93 1 bis et 1 quater du code général des impôts
13. cf sécurité sociale indépendants, assiettes et taux de cotisations 2024
14. article 92 2 2° du code général des impôts
15. article 93 1 quater du code général des impôts
16. article 98 A II 1° à 6° de l’annexe 3 du code général des impôts
17. cf circulaire n° DSS/5B/DGCA/2023/6 du 12 janvier 2023 relative aux revenus tirés d’activités artistiques relevant de l’article L. 382-3 du code de la sécurité sociale.
18. article L. 382-3 du code de la sécurité sociale
19. articles 102 ter et 158, 7, 1° du code général des impôts
20. article 266 1 a du code général des impôts
21. article 279 g du CGI et article 98 A II de l’annexe 3 du code général des impôts
22. article 293 B III du code général des impôts
23. article 1647 D du code général des impôts
24. article 1460 du code général des impôts
25. R 382-24 du code de la sécurité sociale
26. article R 382-31 du code de la sécurité sociale
27. article L. 613-7 du code de la sécurité sociale : application du régime de la micro-
entreprise aux artistes non mentionnés à l’article L. 382-1 du code de la sécurité sociale et qui ne relèvent pas des régimes d’assurance vieillesse, invalidité et décès des professions libérales (professions dans lesquelles le travail de conception artistique est prépondérant) et article D. 131-5 du code de la sécurité sociale renvoyant à l’article R. 641-1 du même code pour ceux qui relèvent des régimes précités des professions libérales.

>>> Retrouvez Frank Schabaver sur sa page Facebook Isid’aaart et sur son profil Linkedin

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