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Amateurs et professionnels : quelles différences pour les artistes, artisans ou créateurs ?

publié le 10 novembre 2021   auteur: corine  508 lectures

Créer correspond à une façon particulière de mettre en œuvre sa liberté d’expression. En effet, « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées ou d’opinions indispensables à une société démocratique »
[Cour européenne des droits de l’homme, 24 mai 1988, Müller c/Suisse repris dans l’exposé des motifs de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine]. Pour certains, l’acte de création s’exerce avec l’appui d’une qualité professionnelle : celle d’artiste ou d’artisan. Pour d’autres, l’acte de création relève du loisir : il s’agit des créateurs amateurs.
Ces derniers ne sont déclarés ni à la maison des artistes, ni à la chambre des métiers et leur activité aléatoire ne les incite pas à s’inscrire au régime dit de micro-entreprise.

Johanne Oplurielle

La loi définit strictement la qualité d’artiste et celle d’artisan. La qualité d’artisan se réfère à une activité de production, de création, de transformation ou de reconstitution, de réparation et de restauration du patrimoine, caractérisée par la maîtrise de gestes et de techniques en vue du travail de la matière (et nécessitant un apport artistique pour l’artisan d’art) [article 20 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat]. La qualité d’artiste renvoie à la création d’œuvre d’art, le processus de création étant alors entendu comme la réalisation manuelle d’une œuvre exprimant une relation particulière au monde. Autrement dit, l’artisan se caractérise par un savoir-faire et l’artiste par une esthétique (exigence motivée par une perception et une sensation du beau).
Comment la qualité d’amateur ou de professionnel interfère sur l’exercice des activités des créateurs, artistes et artisans ? A notre sens, en raison des attentes envers leur activité (première partie) et en raison, entre autres, d’un régime fiscal inégal (seconde partie). Ainsi, les professionnels artistes ou artisans, en conséquence proposent un prix de vente de leurs créations ou leurs œuvres prenant en compte l’ensemble de leurs charges fiscales et autres, le temps de travail, voire le temps conceptuel pour la pérennité de leurs entreprises, à la différence des amateurs qui ne sont pas dans la même démarche économique ni soumis aux mêmes impôts et taxes. Cette situation explique ce que l’on observe sur des événements de type marchés de créateurs et les différences de prix pratiqués par les uns et les autres.
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I L’activité amateur se définit par l’expression d’un plaisir et d’une part de liberté tandis que le professionnel se consacre à un travail, conforme à la règlementation en vigueur

A - L’amateur crée par plaisir tandis que le professionnel se consacre à son art

L’amateur est celui qui aime une certaine pratique (productive ou non d’un objet) et le professionnel, celui qui dédie sa vie à son art, à sa pratique et en gagne sa vie [Micheline Lelièvre, Chorégraphes associés, mars 2014].

L’écrin naturel

Le professionnel se consacre à son art, cela veut dire que ses préoccupations tant créatrices que matérielles sont orientées vers la réalisation d’un projet, aboutissement de son travail, et si possible la rémunération correspondante. Il améliore sa pratique par l’observation et l’échange. Cette démarche tant créatrice que matérielle génère une manière de s’intégrer dans le monde social : la création n’existe que par le regard de l’autre (le professionnel souhaite être vu par le public et reconnu sur le marché économique). C’est une œuvre qui offre une vision personnelle dont le spectateur s’empare. [Micheline Lelièvre, Chorégraphes associés, mars 2014].

L’amateur n’est pas contraint par la nécessité et n’a pas de pression de temporalité. La notion de plaisir est prédominante à celle d’urgence vitale. Il s’engage certes passionnément dans une pratique mais son activité ne relève pas d’un travail en ce que son projet lui appartient (il se contente de proposer ce qui lui fait plaisir). [Micheline Lelièvre, Chorégraphes associés, mars 2014].

Plus que de chercher à se distraire, l’amateur souhaite pouvoir exprimer une part de liberté (L’amateur dans le domaine des arts plastiques, nouvelles pratiques à l’heure du web 2.0, Annie Chevrefils-Desbiolles, ministère de la culture, mars 2012).

B - Le professionnel est responsable de la conformité de ses créations aux prescriptions règlementaires en vigueur

La distinction entre professionnels et amateurs peut aussi résulter de l’obligation, qui s’impose aux professionnels, d’informer le consommateur sur les caractéristiques des biens ou services achetés par un non-professionnel [article L. 111-1 du code de la consommation], sur les prix et les conditions de vente [article L 112-1 du code de la consommation] ainsi que sur la conformité de ces biens et services aux prescriptions relatives à la sécurité et à la santé des personnes [article L. 411-1 du code de la consommation].

Par exemple, en matière de ventes de cosmétiques, il faut allier le droit de la santé publique au droit du commerce et au droit de la consommation. Il existe des règles de composition, des règles d’étiquetage (mentions obligatoires) et de présentation [règlement CE n° 1223/2009 du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques], ainsi que la nécessité d’afficher la liste des ingrédients lors d’une vente en ligne. En outre, tout fabriquant européen doit détenir un dossier comportant la description du produit (formule), le rapport sur la sécurité (conservation, toxicité) rédigé un professionnel autorisé [arrêté du 25 août 1999 relatif à la qualification professionnelle des responsables de certaines activités concernant les produits cosmétiques], la conformité aux bonnes pratiques de fabrication et les preuves des effets revendiqués [articles 4 et 5 du règlement CE n° 1223/2009 du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques]. Il doit aussi notifier tout produit commercialisé sur le portail européen des notifications des produits cosmétiques. Les distributeurs doivent s’assurer que l’étiquetage des produits est conforme [articles 6 et 19 du règlement CE n° 1223/2009 du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques].

Un professionnel doit aussi parfois respecter des règles spécifiques. Par exemple, en matière de bijoux, outre les règles relatives à la provenance des métaux et leur qualité, il s’agit de respecter des règles de police [décret n° 2000-745 du 1er août 2000 portant création et suppression des poinçons de garantie d’Etat au titre des ouvrages en métaux précieux, décret n° 2002-65 du 14 janvier 2002 relatif au commerce des pierres gemmes et des perles] tout autant que de payer des taxes spécifiques [contribution au remboursement de la dette sociale : article 1600-0 H, taxe sur les métaux précieux : article 74 S bis à 74 S septies de l’annexe 2 du code général des impôts].

II Les amateurs bénéficient de dispositifs fiscaux plus favorables aux pratiques amateurs qu’aux pratiques professionnelles.

Un précédent article de blog a explicité les régimes fiscaux des artisans et des artistes. Il s’agit d’énoncer les dispositifs fiscaux qui se révèlent plus favorables à une pratique amateur que ceux auxquelles une activité professionnelle est soumise.
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A - Recourir à une association permet de bénéficier d’avantages fiscaux sous réserve qu’elle ne puisse être qualifiée d’entreprise
1 Une association n’est pas destinée, par son but, à servir de support juridique à l’exercice d’une activité lucrative
Une association ne crée des activités que pour réaliser son objet statutaire. Elle est gérée de façon désintéressée, donc gérée et administrée à titre bénévole par des personnes n’ayant elles-mêmes ou par personne interposée aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats (c’est-à-dire qu’il n’existe aucune distribution de bénéfice ni d’attribution d’une part de l’actif).

Les objets des associations relèvent de deux buts : l’intérêt général ou l’utilité sociale.

D’une part, l’association usuelle, type loi 1901, est une organisation par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices [article 1er d la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association]. Ainsi, par exemple, une association peut être créée pour un but d’intérêt général c’est-à-dire un but à caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises [article 238 bis du code général des impôts].

D’autre part, une association peut aussi faire oeuvre de promotion culturelle au sens large du terme, cette promotion ayant une utilité sociale, sous réserve de respecter trois critères :
- un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices ;
- une gouvernance démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoyant l’information et la participation des associés, des salariés et des parties prenantes aux réalisations de l’association (et l’expression de cette participation n’est pas seulement liée à l’apport en capital ou au montant de la contribution financière) ;
- une gestion qui consacre la majorité des bénéfices à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité et qui ne distribue pas aux membres de l’association les réserves constituées.
[article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire].

2 L’objet d’une association n’exclue pas une activité économique

Certaines des activités de l’association s’exercent sur le marché concurrentiel. Si elle les exerce dans des conditions spécifiques aux associations (par exemple tarifs privilégiés pour certains publics, embauche de public en insertion nécessitant une aide à l’encadrement), elles ne constituent pas des activités lucratives.

3 Mais cette activité économique ne doit pas constituer une activité lucrative qui concurrence les entreprises

Néanmoins, lorsque ces activités sont exercées comme dans une entreprise, ces activités économiques deviennent lucratives. L’association se comporte alors comme une entreprise sur le marché concurrentiel. Elle devrait alors être soumise au régime fiscal des entreprises.
Pour savoir si ces activités s’avèrent lucratives et concurrencent celles des entreprises, il faut vérifier qu’elles sont exercées dans des conditions similaires à celles des entreprises du marché concurrentiel dans la même zone géographique [CE, 1er octobre 1999, association Jeune France, n° 170289].
Cette vérification recourt à quatre critères : le « Produit » proposé par l’organisme, le « Public » visé par l’organisme, le « Prix » pratiqué et les opérations de communication réalisées (« Publicité ») – règle dite des 4 P [BOI-IS-CHAMP-10-50-10-10 du 11 mars 2020]. Seront particulièrement regardés, et par ordre décroissant d’importance,
- l’utilité sociale de l’activité (à travers le produit et le public bénéficiaire) ;
- l’affectation des excédents de gestion à l’objet non lucratif de l’association ;
- le niveau de prix par rapport à celui de services lucratifs similaires ;
- l’existence d’une publicité révélant une démarche commerciale (à la différence d’une simple information, une démarche commerciale s’appuie sur un message et un support sélectionnés pour viser un public déterminé) [BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 du 7 juin 2017].

Si cette part lucrative de l’activité de l’association en constitue la part principale, l’association sera assimilée à une entreprise et sera imposée comme une société.

Néanmoins, apprécier la part d’activité lucrative exige que les responsables de l’association déclarent et qualifient convenablement l’intégralité de ces revenus commerciaux ou assimilables à ceux-ci. Cette tâche demeure de la libre appréciation du dirigeant de l’association, sous le contrôle aléatoire des services des impôts. Mais si le dirigeant bénéficie d’une rémunération de l’association [article 261 7 1° du CGI et article 242 C de l’annexe 2 du CGI], il lui est possible de recouvrir indirectement à son profit une partie du bénéfice des ventes effectuées au nom de l’association.

4 Une association dont l’activité lucrative demeure minoritaire bénéficie d’avantages fiscaux

Si la part lucrative de l’activité de l’association n’en constitue pas la part principale, l’association bénéficie de divers avantages fiscaux :
1°) exonération de TVA [article 261 7 1° b du CGI] pour les opérations lucratives faites par les associations (ou autre organisme) sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ou des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales ;
2°) exonération de TVA et de l’impôt sur les sociétés [articles 206 1 bis et 207 1 5° du CGI] lorsque les activités non lucratives d’une association loi 1901 restent significativement prépondérantes et le montant de leurs recettes d’exploitation encaissées au cours de l’année civile au titre de leurs activités lucratives n’excède pas 72 000 € ;
3°) exonération de CFE [article 1447 II du CGI] en deçà de 72 000 € de recettes d’activité lucrative, alors que seuls certains artistes en sont exonérés [article 1460 2° et 2° bis du CGI] ou certaines entreprises dans des zones géographiques de revitalisation économique [articles 44 sexies, 44 quindecies, 1464 F, 1466 A et 1468 I 2°du CGI] ;
4°) exonération de TVA sur les recettes de six manifestations de soutien organisées à leur profit exclusif [article 261 7 1° c du CGI] ;
5°) le cas échéant, exonération de CVAE si la commune, la communauté de communes ou la communauté urbaine l’ont votée [article 1586 nonies et 1609 quiquies BA du CGI].

B - Des amateurs utilisent les dispositifs de revenus complémentaires à une pension de retraite.

Il arrive que des activités soient réalisées par les amateurs qui, pour les régimes sociaux et fiscaux, sont des retraités exerçant une activité complémentaire à leur pension de retraite. Ces revenus étant exonérés des cotisations retraites pour une personne bénéficiant de sa retraite à taux plein, leur régime fiscal devient plus avantageux.

1 Les retraités du régime général

Pour les retraités du régime général des travailleurs salariés, ils peuvent poursuivre une activité professionnelle accessoire débutée avant la retraite, sous réserve qu’elle ne rapportait pas plus du tiers du SMIC l’année précédant celle du départ en retraite (518,19 € en 2021).

Il peut poursuivre également une activité à caractère artistique, littéraire ou scientifique telle que la création d’œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et plastiques, et photographiques, à condition que les revenus procurés par cette activité, ajoutés aux pensions de retraites, ne dépassent pas 160 % du SMIC ou la moyenne mensuelle des trois derniers salaires [article L. 161-22 et D 161-2-9 du code de la sécurité sociale]. En cas de dépassement de ce seuil, le surplus réduit d’autant la pension de retraite.

2 Les retraités du régime des travailleurs indépendants

a) Exonération de plafond de revenus sous certaines conditions

Pour les retraités du régime des travailleurs indépendants qui exercent une activité accessoire relevant de ce même régime, il n’existe pas de plafond au cumul du revenu professionnel d’indépendant avec la pension de retraite d’indépendant [article L. 634-6 du code de la sécurité sociale] si les conditions suivantes sont remplies :
- avoir l’âge légal de la retraite ;
- justifier d’une carrière complète (durée d’assurance nécessaire pour le taux plein) ou avoir atteint l’âge du taux plein (quels que soient la durée d’assurance et l’âge de liquidation de la pension) ;
- avoir fait liquider l’ensemble des pensions de base et complémentaire auprès des régimes de retraite obligatoires, français et étrangers.
[circulaire CNAV 2020-2 du 3 janvier 2020 relative au plafond de la sécurité sociale – Revalorisation au 1er janvier 2020 – Incidences en matière d’assurance vieillesse (hors cotisations)]

NB : Pour les retraités du régime de retraite de travailleur indépendant qui exercent une activité accessoire qui relève d’un régime différent (par exemple celui du régime général des travailleurs salariés), ces conditions ne sont pas exigées.

b) Règles de plafonds de revenus en cas d’irrespect de ces conditions

Si ces conditions ne sont pas remplies, le cumul de la pension de retraite et du revenu de l’activité complémentaire ne doit pas dépasser le plafond annuel de la sécurité sociale c’est-à-dire 41 136 € en 2021 pour une activité exercée en zone de revitalisation rurale ou dans un quartier prioritaire, la moitié - 20 568 € - pour les autres zones [articles D 634-11-1 et D 634-11-2 du code de la sécurité sociale] En cas de dépassement de plafond, le versement de la retraite de base peut être réduit pendant 12 mois, à compter du mois suivant celui au cours duquel la caisse de retraite aura notifié à l’assuré le dépassement du seuil et le montant de cette réduction.

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